Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)



Le printemps dans les Alpes
Tout ce que l’air touchait s’éveillait pour verdir ;
La feuille du matin sous l’œil semblait grandir ;
Comme s’il n’avait eu pour été qu’une aurore,
Il hâtait tout du souffle, il pressait tout d’éclore ;
Et les herbes, les fleurs, les lianes des bois
S’étendaient en tapis, s’arrondissaient en toits,
S’entrelaçaient aux troncs, se suspendaient aux roches,
Sortaient de terre en grappe, en dentelles, en cloches,
Entravaient nos sentiers par des réseaux de fleurs,
Et nos yeux éblouis dans des flots de couleurs.
La sève, débordant d’abondance et de force,
Coulait en gommes d’or des fentes de l’écorce,
Suspendait aux rameaux des pampres étrangers,
Des filets de feuillage et des tissus légers,
Où les merles siffleurs, les geais, les tourterelles,
En fuyant sous la feuille, embarrassaient leurs ailes.
Alors tous ces réseaux, de leur vol secoués,
Par leurs extrémités d’arbre en arbre noués
Tremblaient, et, sur les pieds du tronc qui les appuie,
De plumes et de fleurs répandaient une pluie ;
Tous ces dômes des bois, qui frémissaient aux vents,
Ondoyaient comme un lac aux flots verts et mouvants ;
Des nids d’oiseaux, bercés au roulis des lianes,
Y flottaient, remplis d’oeufs tachetés, diaphanes,
Des mères qui fuyaient fragile et doux trésor,
Comme dans le filet la perle humide encor !

Alphonse de LAMARTINE (1790-1869)
Jocelyn

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